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Dans la gamme Leica et depuis toujours, le Noctilux fut exclusivement réservé à la focale de 50mm. Décliné en cinq versions, le premier en ouverture f/1,2 sorti en 1966, il fut suivi par trois versions pour le modèle ouvrant à f/1,0 pour en arriver à la mouture actuelle à l’ouverture record de f/0,95. Cet objectif tient véritablement une place à part au regard de ses résultats uniques mais aussi de son prix quelque peu pharaonique. Orphelin du Summilux 75mm depuis 2007, c’est donc en version Noctilux ouvrant à f/1,25 que Leica vient de se décider pour le lancement d’un héritier de cette optique devenue mythique.

Mais ce Noctilux 75mm est-il au niveau de ses ambitions et réussira-t-il à combler la longue attente des afficionados de la marque ?

Présentation :

J’entends déjà les critiques sur le poids et l’encombrement. C’est plutôt logique car le choix du Leica M et de ses optiques se fait très souvent sur l’argument de la compacité. Ce critère est bien évidemment mis en avant par les utilisateurs du matériel de la gamme M, que ce soit par les Leicaistes de longue date mais aussi des nouveaux arrivants qui ont bien souvent choisi la marque après qu’ils eurent baissé les bras devant les sacs à dos trop lourds et encombrants. Nous sommes donc effectivement aux limites de ce que peut proposer la gamme M en termes de prise en main sur un ensemble boitier/objectif.

A l’instar du 50mm, le Noctilux est lourd et imposant. Plus d’un kilogramme (1055g) de métal et de verre pour 91mm de long et un diamètre de 74mm, il est clair que l’objectif est loin d’être le plus compact de la gamme M. Mais c’est évidemment le prix à payer pour posséder un 75mm à ouverture extrême. Malgré tout, c’est sensiblement le double du Summilux 75 (560g) qui pour sa part ouvrait à f/1,4. Sur un boitier M, le déséquilibre vers l’avant sera un peu plus prononcé encore que celui constaté avec le Noctilux 50mm. Mais attention, rien de rédhibitoire et l’ensemble est parfaitement utilisable, plus encore si l’on affuble son boitier M d’une poignée grip optionnelle. C’est même d’ailleurs plutôt conseillé à mon sens pour une meilleure homogénéité du mariage boitier/objectif.

Avec le Leica SL, pas de souci particulier de prise en main. Ce dernier, qui a été conçu pour accueillir les objectifs de la gamme SL certes plus imposants fait que le Noctilux 75 trouve sa place bien plus naturellement et l’ensemble est effectivement très homogène à la prise en main.

La construction est bien évidemment sans reproche et comme pour toute la gamme Leica, l’objectif respire la solidité et il ne fait aucun doute que les années n’auront pas de prise sur la résistance à toute épreuve de ce matériel haut de gamme. Le pare-soleil intégré amovible est un vrai plus car si il se fait oublier, il a la grande qualité d’être toujours présent et donc utilisable à tout moment. A noter aussi la présence judicieuse d’un adaptateur fileté pour faciliter le montage de l’optique sur trépied, très utile pour qui voudra faire de la prise de vue posée en toute sécurité.

Comme pour la version 50mm, pas de gâchette et la mise au point se fera à l’aide d’une bague cannelée classique. Pas d’affolement cependant, la dite bague est très fluide et la mise au point se fait réellement sans effort. Pour le reste, c’est très classique avec une bague de diaphragme bien crantée et les habituelles échelles de profondeur de champ. 

 

Conception :

Comme pour le Summilux 35mm et autres références modernes, deux lentilles asphériques ont été intégrées dans les neufs éléments en six groupes ainsi qu’un élément flottant pour optimiser le rendement dès la distance de mise au point la plus faible qui se situe à 0,85 mètres pour se prolonger jusqu’à l’infini. Le rapport de reproduction maximum est 1: 8.8 ce qui correspond à de la photographie rapprochée (et non de la macro-photographie).

Pour tenter d’obtenir un bokeh plus harmonieux encore, Leica a fait le choix d’un diaphragme à 11 lamelles avec un iris de forme circulaire.  

La focale de 75mm, combinée à une ouverture de f/1,25 fait qu’à pleine ouverture et selon la distance du sujet, la profondeur de champ sera extrêmement réduite. A la limite bien souvent de ce que le viseur télémétrique permet. Le taux de déchet pourra être très important dans cet exercice périlleux et Leica préconise même l’utilisation d’un viseur numérique. Attention aussi à la précision du télémètre car comme pour le Noctilux 50mm, il faudra un appareil bien calé pour le numérique pour éviter les mises au point hasardeuses et avoir la précision la plus grande. C’est vital pour ce type d’objectif et l’envoi du couple boitier/optique chez Leica pourra être très clairement envisagé pour obtenir le réglage le plus précis.

L’utilisation de loupes optiques de viseur (X1,4 ou X1,25) pourra aussi améliorer la visée même si c’est clairement un cran moins efficace que le viseur numérique. 

Uilisation :

D’emblée présenté presqu’exclusivement comme un objectif à portrait, je ne partage pas forcément ce postulat. Bien évidemment, un 75mm sera fondamentalement à l’aise dans ce genre d’exercice mais il me semble que c’est plutôt réducteur. Les 75 et 90mm peuvent parfaitement être performants dans d’autres conditions et usages. Un 75mm offrant de telles possibilités permettra aussi de composer par exemple de belles images de rue tout en restant à distance, de magnifiques paysages aux perspectives ramassées ou permettra d’isoler clairement un sujet de la scène photographiée.

Avant d’évoquer à proprement dit les performances de l’objectif, il convient d’appréhender le mariage Noctilux/Leica M car un objectif d’une telle ouverture utilisé sur un boitier télémétrique pose inévitablement le problème des résultats obtenus en matière de réussite de la mise au point précisément.

Pour ma part et pour avoir fait le test avec un M240 au télémètre (calé parfaitement), j’évalue le taux de réussite à 70/75% et donc un taux de déchet à une photo sur quatre environ. C’est plutôt bon et cela permet d’envisager une utilisation du couple sans autre restriction. Bien évidemment, certains sujets ou conditions de prise de vue pourront influer sur ce taux dans un sens ou dans l’autre mais globalement, je pense que cette évaluation semble cohérente sur des sujets variés tels que montrés dans la galerie qui suit. Sur le M, l’utilisation d’un viseur numérique optionnel pourra rendre le taux de bons résultats aux alentours de 90/95%. Je conseillerais donc l’emploi de ce dispositif qui sécurisera un peu plus encore la prise de vue avec l’objectif. Beaucoup d’entre nous considèrent que la limite acceptable de la visée au télémètre se situe au 50mm et qu’à partir du 75mm, la difficulté de mise au point est presque rédhibitoire. Sans aller jusque-là, il est vrai que l’apport des viseurs électroniques ont fait leur chemin et s’ils sont utiles avec un Summicron 75mm, ils deviennent presque indispensables avec le Noctilux 75mm utilisé aux très grandes ouvertures.

Et puis, il y a le SL !! Comme pour le Noctilux 50mm, le fantastique viseur de ce boitier donnera tout son potentiel et m’a permis de réaliser des images plus facilement encore pour un taux de réussite optimal de 100% des prises de vue, quelques que soient les ouvertures utilisées. Je ne suis d’ailleurs pas loin de penser que l’existence du SL n’est pas étranger à l’apparition du Noctilux 75mm au catalogue Leica. Il est évident que le fait de bénéficier d’un viseur grand et large, très défini, avec correction dioptrique et dont le focus peaking offre une telle précision ne peut que rendre l’utilisation des Noctilux plus performante encore. Et comme pour le Noctilux 50mm qui ne quitte plus mon SL, le 75mm sera le compagnon idéal de ce boitier hors norme. Si le gain est effectif pour la précision de la mise au point, il va sans dire que  la réactivité sera elle aussi améliorée. C’est un point essentiel lors de séances de prises de vue spontanées ou la rapidité est un élément déterminant pour prendre du plaisir et réussir un maximum d’images.

Au-delà de ces deux critères que sont la précision et la rapidité, le viseur électronique du SL que beaucoup considèrent comme le meilleur sur le marché actuellement permettra aussi de visualiser directement le résultat de la prise de vue réalisée. Si cela s’avère précieux pour l’ensemble des éléments de la scène photographiée (lumière, flare éventuel, balance des blancs…), c’est encore plus déterminant pour apprécier précisément la zone de netteté, la profondeur de champ et le bokeh. Un gros avantage pour composer et appréhender la scène photographiée avec l’assurance de réussite dès la prise de vue.

La solution du viseur numérique présente un autre avantage à prendre en compte. En utilisant de surcroit la loupe numérique intégrée lorsque le temps de mise au point le permet, c’est en réalité l’assurance d’une mise au point parfaitement réussie.  

 

Performances :

S’agissant d’un Noctilux et l’objet étant vendu le prix d’une petite voiture citadine, on est bien évidemment en attente du tout meilleur. Et bien, pas d’inquiétude à ce sujet, cet objectif ne déroge  pas à la règle des optiques Leica en offrant des performances superlatives, finition Noctilux en prime. Il est clair que ce 75mm a été conçu sans compromis pour être le meilleur dès la pleine ouverture.

Déjà bien corrigé en 2008 par une nouvelle version du Noctilux 50mm, il me semble que le 75mm, conçu donc dix années plus tard, a pu bénéficier d’avancées technologiques permettant de rehausser encore les performances brutes de l’objectif. Cela se traduit par une netteté plus grande à pleine ouverture, en fait de meilleurs résultats sur ce point aux grandes ouvertures. La colométrie semble elle aussi plus juste et il est vraisemblable que les lentilles ont bénéficié de traitements améliorés permettant de progresser sur ce plan.

Pas de déformation ou distorsion, des aberrations chromatiques quasi inexistantes, un piqué en progression aux grandes ouvertures (par rapport au Noctilux 50mm), une colométrie plus juste encore et un bokeh harmonieux (moins circulaire que les anciennes références) font de cet objectif une sorte de perfection optique au service de la photographie. Leica a su bonifier le Noctilux 50mm et ce n’est pas un mince exploit car il est lui aussi à un niveau que je qualifierais d’excellence. A tel point qu’il sera extrêmement difficile de trouver des défauts à ce Noctilux 75mm d’exception. Mais là, je ne parle que de technique et plus que ces éléments factuels, le propre de chaque optique Leica est d’avoir une véritable signature. C’est cette signature qui fait que l’on apprécie plus ou moins tel ou tel objectif et que des préférences marquées s’affichent.       

Et là, et bien je crois préférer le rendu du 50mm mais c’est très personnel. Il faut bien comprendre que nous sommes dans la nuance la plus fine et la subtilité d’une préférence toute relative tant le niveau atteint par Leica en termes de résultats est proprement stupéfiant. C’est le côté un peu moins chirurgical du Noctilux 50mm qui l’emporte face au petit nouveau, de façon très subjective et parce que j’ai personnellement un goût plus marqué pour les optiques moins tranchantes. Il n’y a aucun doute quant aux qualités intrinsèques de ce 75mm qui sont certainement ce qu’il se fait de mieux sur le marché. Cet objectif est unique et son utilisation rendra son propriétaire le plus exigeant parfaitement heureux.      

 

Quel 75mm pour mon Leica ?

Le choix d’un 75mm dans la gamme Leica, indépendamment de toute logique financière, peut être un casse-tête. Dans l’ordre, il y a le Summarit 75mm, le Summicron APO 75mm et donc le Noctilux 75mm. Pour compléter le tableau, il y a le Summilux 75mm f/1,4. Ce dernier n’étant plus produit par Leica depuis 2007, c’est bien évidemment sur le marché de l’occasion qu’il faudra lorgner pour s’en procurer un exemplaire.

La gamme Summarit, sous-estimée à tort, est constituée de quatre optiques dont un 75mm de très bonne facture. Compact et performant, il excelle en numérique et son tarif économique (1850,00€) en font un excellent choix pour une utilisation occasionnelle. Il fait partie des optiques au rendu très piqué (un peu trop diront certains) et les résultats obtenus seront d’excellent niveau.

Pour gagner en ouverture et obtenir un rendu plus subtil que le Summarit, il faudra regarder du côté du Summicron APO 75mm qui est une référence dans la gamme Leica. Compact aussi mais plus cher (3775,00€) que le Summarit, il sera plus performant en terme de rendu global avec une image certes moins tranchante mais de meilleurs micro-contraste et un magnifique modelé.

Et puis, il y a le Summilux 75mm qui est un peu l’ancêtre du Noctilux 75mm. Discontinué depuis 2007, cet objectif garde cependant une belle cote d’estime auprès des Leicaïstes. Uniquement disponible en occasion aux alentours de 3000,00€, il faut dire que cette optique présente un CV pour le moins intéressant. D’un point de vue technique brut, le petit dernier fait cependant montre d’une supériorité sans conteste dans tous les domaines. Meilleur piqué à toutes les grandes ouvertures, correction bien supérieure des aberrations chromatiques, flare nettement mieux maitrisé, moins de déformation, micro-contrastes plus élevé et colométrie plus juste. Les presque quatre décennies d’écart de conception et leur lot d’améliorations livrent un verdict sans appel en faveur du Noctilux 75mm.

Mais le Summilux 75mm garde un pouvoir de séduction à prendre sérieusement en compte lors de l’achat d’un 75mm. Son rendu plus vintage (très en vogue en ce moment et pas uniquement dans la photo) lui donne un charme incontestable. Techniquement bien inférieur effectivement, il permet cependant d’obtenir aux grandes ouvertures des images aux ambiances plus surréalistes. Nous sommes donc là dans une opposition réelle qui confronte un outil remarquable dans sa conception et sa réalisation offrant de grands résultats d’un point de vue technique à un artiste, plus désordonné et bourré de défauts, mais dont la restitution surannée et poétique est un atout irremplaçable pour certains.    

Conclusion :

Grand amateur des Noctilux, c’est bien évidemment avec beaucoup de plaisir et d’envie que j’ai réalisé le test de ce 75mm d’exception.  Clairement, cet objectif est lourd et extrêmement cher (11 900,00€). Mais c’est le prix à payer pour s’offrir un objectif hors du commun alliant construction exceptionnelle et performances sans égales. Comme évoqué, il serait dommage de cantonner ce 75mm à de beaux portraits car il est parfaitement capable d’évoluer dans d’autres domaines avec beaucoup de facilité tout en offrant des résultats incroyablement bons.

Moins standard que le Noctilux 50mm, il est le résultat d’une production sans concession de la part de la marque Allemande qui, à l’instar du Summicron 50mm APO, s’est attaché à donner le meilleur du meilleur à ce 75mm. L’essai est transformé et ce tout nouveau Noctilux ne déçoit pas tant son potentiel est énorme. Son rendu à la fois précis et subtil est un gage d’images exceptionnelles.

Il faudra bien sûr composer avec un embonpoint et un poids pas forcément habituel pour une utilisation avec un simple M et la visée aux grandes ouvertures sera ardue avec le télémètre. C’est pour cela que l’utilisation des viseurs électroniques est à conseiller (VF2 pour le M240, Visoflex pour le M10).

Il est évident que la longue attente pour remplacer le Summilux 75mm était étroitement lié à la capacité de Leica d’offrir un objectif hors normes pour ceux qui recherchent le summum en termes de perfection optique. Aucun souci à se faire sur ce plan, l’optique présentée est clairement au niveau espéré…  

Ci-dessous la galerie d’images test a été réalisée avec le Noctilux-M 75mm, un MP240 et le Leica SL pour démontrer les propriétés de l’ensemble en dehors de toute connotation artistique.

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